Mais que se passe t'il en France ?
J’avais envie de pousser une gueulante aujourd’hui. Râler sur cette France qui semble sortir d’elle-même à la moindre décision de ses élus. Mais finalement je ne le ferai pas. Pas que ça ne me regarde pas, on est voisins tout de même. Je n’ai pas envie d’être traitée de raciste. Moi qui ai passé 20 années de ma vie à 200m de la frontière, je trouverais ça un peu fort. Et puis finalement, non aussi parce qu’ici, ce n’est pas un blog politique, je n’ai pas envie que ça le devienne, je n’ai pas envie d’avoir un “pic de visites” genre celui qu’on avait eu quand j’avais ralé sur le “non à 55%”. Des visites, on en a assez, et le problème avec les “pics de visites”, surtout ceux qui sont dus à un billet politique, c’est que ça amène une quantité infernale de trolls. On a l’immense chance d’être dans un blog où il fait bon vivre, où on ne s’accroche pas, où chacun respecte le point de vue de l’autre, où personne ne trolle, où personne ne parle en langage sms (merci à vous!)…
Vous me direz que c’est logique, on ne parle que de chose ultra matérialistes, alors à moins d’avoir un débat entre les pro-apple, les pro-pc, les pro-firefox et les pro-ie, les pro-nintendo et les pro-xbox, personne ne s’arrache les cheveux ici.
Rhaaaa ça me démange de râler quand même. J’adore les polémiques. Pas quand ça intervient sur le blog, mais j’adore les échanges, c’est quand même le gros principe de la communication, ne pas être d’accord. Si on dit amen à tout ce que je raconte, rien n’est constructif. Pareil si je dis amen à tout ce que j’entends. Je suis une râleuse compulsive. Ce serait plus simple si tout cela se passait en Belgique, au moins personne ne pourrait me traiter de raciste. Le truc c’est qu’en Belgique, le CPE a été accueilli à bras ouverts. On n’a brulé ni voiture, ni magasin. Il n’y a eu personne dans le coma. On n’a pas eu envie de faire tomber le gouvernement.
Il y a eu ce film “Rosetta”, des Frères Dardenne (Palme d’or en 99), qui parlait d’une jeune fille d’un milieu défavorisé qui en bavait pour s’en sortir. Il y a eu ensuite “Le plan Rosetta”, réponse du gouvernement au film. Le principe du Plan Rosetta ? Amener l’employeur à embaucher un certain pourcentage de jeunes de moins de 26 ans, contre quoi il reçoit des primes pour sa société. Evidemment, le moins de 26 ans est tenu de bien bosser, c’est pas parce qu’on a moins de 26 ans qu’on peut se permettre toutes les conneries. On bosse bien, c’est génial, on gagne des sous; on bosse mal, on est viré. Comme chez les grands. Du coup, le moins de 26 ans est aidé de multiples façons pour trouver un emploi, notamment par le forem (l’équivalent de l’ANPE) qui propose un tas de formations gratuites pour les chômeurs ou les moins de 26 ans qui voudraient se rediriger; le forem propose aussi du boostage à l’emploi, photocopies gratuites, aides pour faire un cv, une lettre de motivation, des séances d’informations, un tas de petites choses bien utiles quand on sort de l’école et qu’on n’a pas vraiment les moyens de se mettre à son compte, ni la maturité et l’expérience pour postuler en ayant l’air sûr de soi.
Bref, le Plan Rosetta, merci à lui, j’en ai profité. En sortant de l’école, j’étais donc graduée logopède (orthophoniste), je me suis dit “mais que faire de ce joli diplôme de merde?”. Sérieusement, la logopédie, je n’en pouvais plus. Un peu comme Ced qui a tellement dû dessiner pour l’école qu’il vomit le dessin maintenant, je vomissais la logopédie. Je vomissais ces petits débiles incapables de mettre deux mots l’un à côté de l’autre sans faire de faute. Je vomissais ces parents de petits débiles qui pensaient que j’allais faire des miracles, je vomissais les instituteurs qui étaient agressifs parce qu’ils se sentaient jugés, genre “ouais on dit que le prof fait mal son boulot alors la logopède rattrape le tir”, je vomissais le pms (psycho médico-social) qui pétait plus haut que son cul genre “une petite nouvelle, on va lui donner tous les cas dont on ne veut pas”. J’ai dû tomber sur des endroits de stage particulièrement puants parce que je suis dégoûtée du travail en école.
Donc en sortant de logo, diplôme en poche, je me suis octroyée quelques mois sabbatiques. Ca n’a pas plu à ma mère (évidemment), donc avec aides financières maternelles, j’ai loué un bureau, j’ai fait les démarches pour être agréée à l’INAMI (la mutuelle des mutuelles, qui rembourse les soins de santé, etc.), j’ai trouvé des patients et j’ai bossé. J’ai rééduqué des dysphasiques, des dyslexiques, des hyperkinétiques, etc, etc etc. Je ne les vomissais plus vraiment mais on ne peut pas dire que j’étais épanouie dans mon travail. C’est là que le sort a continué de s’acharner sur moi. J’ai trouvé une place en tant que logopède indépendante (genre le patron qui ne se mouille pas) dans une école. Argh. J’avais pas très envie, mais le but était que les finances suivent. Qui n’a jamais bossé pour gagner de l’argent, hein?
C’était dans un bled défavorisé près de Charleroi. J’ai pris en charge quelques bouts de chou métissés, café-au-lait et analphabètes et… rien. Pas un sous. Des progrès oui (ouf) mais des sous, non. Je mettais mes attestations de soins dans leur journal de classe, avec en gros le prix à payer pour que le petit chou puisse s’intégrer dans une classe francophone, et rien. Le prix à payer, c’était entre 3 et 4 euros par séance. C’est comme ça chez les logopèdes, on est gentils, on fait les démarches pour être agréés dans les mutuelles, alors on demande le petit prix aux patients et on se noie dans la paperasse pour que la mutuelle nous paie le reste. Plutôt que de demander un gros prix et que les patients demandent le remboursement. Mais non, même 3 euros pour le bien-être scolaire du rejeton, pas moyen. Donc j’ai perdu beaucoup de sous en allant jusque Charleroi tous les jours (80km aller-retour), en achetant du matériel pédagogique, j’ai perdu beaucoup de temps en paperasserie… tout ça pour… vider mon compte en banque. Bref, après un an et demi de travail comme indépendante, j’ai attesté une faillite. Mes douloureux débuts professionnels. Les malheurs de Sophie.
6 mois de stage d’attente plus tard (donc pas encore touché un centime au chômage, donc à charge de ma mère, donc beaucoup d’engueulades), je rencontre Ced et là, tout de suite, je me remotive pour trouver un boulot parce que hein, ça fait plus sérieux. Ca fait moins larve. Donc je trouve effectivement un boulot dans un magasin. Comment j’ai eu ce boulot ? Grâce au Plan Rosetta bien sûr! Hébé oui! J’avais toute une situation administrativement chaotique à remettre sur pieds, et le forem m’a aidé. Merci à lui, merci au Plan Rosetta de m’avoir fait bénéficier d’aides diverses. Si je n’avais pas moins de 26 ans, je n’aurais pas eu toutes ces aides, je n’aurais pas eu le boulot et les choses ne se seraient pas aussi bien passées avec Ced parce que je n’aurais pas eu assez de sous pour aller le voir toutes les semaines à Bruxelles, il en aurait eu vite marre de de faire les kilomètres jusqu’au trou-de-cul du monde où je vivais, surtout pour une larve qui vit au crochet de sa mère, et si par miracle ça avait tenu malgré tout, on n’aura pas su prendre d’appart. Argh. On ne serait pas en train de construire notre maison (au fait, on va recevoir les plans définitifs ce soir, pour les soumettre à l’entrepreneur et connaitre son prix)
6 mois plus tard, le patron du magasin m’annonce qu’il aimerait changer mon contrat à temps plein en contrat à mi-temps pour diverses raisons. J’ai refusé et je suis partie. Sans conséquence.
Sortie de ce boulot, le stage d’attente étant terminé, j’ai pu bénéficier d’allocations de chômage. Mais Rosetta est toujours avec moi, j’ai toujours moins de 26 ans et je bénéficie donc toujours d’un tas d’aides, et celui qui voudra bien m’employer bénéficiera d’un tas de primes… Et c’est comme ça que je trouve en mai dernier le boulot où je suis toujours actuellement, et depuis quelques mois, à durée indéterminée, éducatrice-logopède chez les autistes. Mon rêve.
Maintenant, il faudrait m’expliquer en quelques mots ce qui ne plait pas aux français (et encore désolée que ça tombe sur les français, je le redis, je préfèrerais que ça se passe en Belgique) Ce qui chatouille à ce point les français pour qu’il y ait encore un tel tollé dans leurs villes. C’est le fait de pouvoir être viré sans préavis ? Parce que c’est valable aussi en sens inverse, j’ai bénéficié de ça et franchement, c’est de la balle! On ne perd pas de temps dans un boulot dont on sait qu’on n’y fera pas carrière. C’est quand même important, une carrière, on ne bosse pas uniquement pour gagner des sous, le boulot permet aussi de s’épanouir dans certains domaines, de faire connaissance avec des gens avec qui on a d’autres points communs que ce qu’on écoute comme musique ou la console de jeux qu’on préfère… Lorsqu’on est licencié sans préavis, évidemment c’est une douche froide mais c’est aussi l’occasion de se remettre en question, on peut directement et sans conséquence se remettre à la recherche d’un autre emploi et on peut aussi profiter du nom d’une société supplémentaire sur le cv, ce qui n’est pas négligeable vu que les patrons recherchent généralement des candidats ayant beaucoup d’expériences. Et puis, le CPE ne veut pas dire que les patrons ne seront plus poursuivables lors de licenciements abusifs. La justice est là pour dire si un licenciement est fondé ou non.
Et puis merde, soyons un peu responsables, on n’est plus des enfants, si on passe du temps à aller à des entretiens d’embauche, si on s’investit un minimum pour avoir un boulot, si on essaie de trouver des avantages à ce boulot (histoire de ne pas se lever avec des pieds de plomb), autant jouer le jeu à fond et ne pas donner de raison de licenciement à un patron.
Je ne vois pas ce qui tracasse les français là dedans, le gouvernement cherche un moyen de diminuer le chômage chez les jeunes, c’est plutôt positif pour un pays où les jeunes brûlent des voitures.
Et puis bon. J’ai vu des manifestations très paisibles mais j’ai aussi vu des jeunes, casquette sur la tête et capuche sur la casquette, lancer je ne sais quoi sur la police. Ca m’étonnerait beaucoup que ceux-là aient une opinion politique très objective (ou une opinion politique tout court, d’ailleurs).
Je vais sans doute me faire incendier avec ce billet (incendier hihi, pas fait exprès), surtout qu’apparemment, je ne pense pas comme la plus grande partie des français. C’est normal, je vois les choses de l’extérieur. Et puis je me fais aussi avocat du diable un peu.
On va me dire que je suis raciste (je ne le suis pas) et que je ferais mieux de regarder les problèmes en Belgique. Beh oui, il y a des manifestations d’étudiants en Belgique aussi, parce que Marie-Dominique Simonet a décidé qqchose qui ne plait pas. Tant qu’il ne s’agit pas de bizutage, de bleusailles et de beuveries, certains étudiants ont ça de beau qu’ils trouvent à redire sur tout ce que le gouvernement propose. Je ne les mets pas tous dans le même panier.
Pour résumer ce qu’il se passe en Belgique, Marie-Dominique Simonet a décidé qu’on réduirait à 30% le quota d’étudiants étrangers qui veulent étudier en Belgique. Il faut bien que ça se limite, il y a un numerus closus dans la plupart des études, il y a des classes remplies de français et de luxembourgeois. En tout cas en logo c’était déjà comme ça quand j’étais aux études. Il y avait un examen d’entrée assez carabiné pour étudier l’orthophonie en France, donc on venait faire la logopédie en Belgique et au bout de trois ans, il n’y avait plus qu’à faire les quelques démarches administratives pour avoir l’équivalence. Si Marie-Dominique Simonet ne limite pas, il n’y aura bientôt plus que des français et des luxembourgeois dans les universités et les Hautes écoles belges. Il faut se rendre à l’évidence, ce serait un peu bête de ne sortir de nos école que des diplômés qui vont aller officier dans un autre pays. Là encore, j’ai un regard extérieur très objectif car je ne suis ni étrangère, ni aux études.
Enfin voila, petit coup de politique quand même, malgré que je n’aie pas envie de ça mais j’ai toujours beaucoup de mal à m’empêcher de donner mon avis. C’est pas que je n’ai pas envie de débat, mais j’aime quand les échanges sont constructifs et les choses sont telles dans la blogosphère actuellement que je sens d’ici venir du trollage en puissance genre “vou zavé un blog de merd lé zétudian on rézon 93 en forcccccc”
Mais c’est surtout un coup de gueule et un coup de blues par la même occasion parce que je trouve qu’il n’y a plus rien qui va. Je suis un peu triste pour les étudiants étrangers qui voudront venir en Belgique et qui trouveront porte close parce que c’est jamais agréable de trouver la porte close mais peut-être que les gouvernements étrangers devraient créer des études plus abordables. Je suis un peu triste pour la France qui doit se dépêtrer avec un gouvernement qu’elle ne peut pas piffer.
A mon avis, la vie dépend de la couleur des lunettes qu’on porte. On a la capacité de différencier le bien du mal mais je pense que le bonheur dépend de l’importance qu’on donne au bien et l’enseignement qu’on tire du mal.
(et bravo à ceux qui ont tout lu)
1 reply on “Bonjour tout le monde !”